Véro :
– Bonjour, Charb ! Je me permets de te tutoyer. Tu as fait le mort pas mal de temps.
Charb :
– Oui, figure-toi que j’étais mort.
Véro :
– Enfin, pas vraiment mort, quand même… Un peu vivant, d’une autre vie.
Charb :
– Elle peut pas baisser la musique, ta gamine.
Véro :
– Non. Elle fait ce qu’elle veut. Pourquoi, ça te dérange ?
Charb :
– Oui, je l’entends.
Véro :
– “Normal” puisque tu es “vivant”.
Charb :
– Non, je suis mort !
Véro :
– C’est quoi être mort, pour toi ?
Charb :
– C’est ne plus pouvoir serrer dans ses bras les personnes qu’on aime.
Véro :
– Mais tu peux les voir et les approcher, quand même.
Charb :
– C’est pas pareil pour moi. Moi, je (Charb semble hésiter entre le choix de deux mots) suis, je reste un “charnel”. Alors être mort, c’est ne pas être dans la chair.
Ca me manque terriblement.
Véro :
– Ouah, je croyais qu’être de l’autre côté, c’était super.
Charb :
– Ca dépend pour qui. Moi j’ai refusé la mort.
Véro :
– Comment fait-on pour refuser la mort ? Quand on est mort.
Charb :
– On m’a expliqué, je ne sais pas qui, on va dire ça alors, “on” m’a expliqué que je devais vivre, que la mort n’existait pas. Moi je croyais, même si je n’aime pas ce terme car je n’ai jamais cru en rien, moi je croyais qu’il n’y avait rien, rien après, justement.
Véro :
– Je ne comprends pas. Tu voyais bien que tu étais vivant ?
Charb :
– Non je pensais que je m’étais drogué ou que j’avais été drogué. J’ai essayé de comprendre pourquoi j’avais ce “trip”, un “bad trip”. Je ne me souvenais pas de tout. J’étais bloqué. Je refusais d’avancer. Je refusais de communiquer. Je refusais même l’idée d’une vie après la mort. J’étais sur la touche “pause”. Aucun choix à effectuer. Les autres, eux, ils ont tout de suite avancé, sauf WOLINSKI qui les a un peu “chahutés” parce que, lui aussi, il refusait de “partir”, il refusait l’idée d’une mort qu’il n’a pas choisie. Enfin, l’heure de sa mort qu’il n’a pas choisie. Tu vois ce que je veux dire ? Mais lui, il acceptait assez bien l’idée d’une vie après la mort. Pas moi ! On devrait toujours être prévenus avant de mourir, puisqu’il existe.
Véro :
– Il ou ils, je ne sais pas comment l’écrire. Au singulier ou au pluriel ?
Charb :
– Moi non plus, je ne sais pas. Il, c’est parfois “ils”‘. Il est en tout, il est en “ils”. Tu comprends ?
Véro :
– Oui, je traduirais bien ta pensée de manière théologique, pire canonique, mais tu vas “criser” !
Charb :
– Si tu me sors tes “biondieuseries”, je me casse.
Véro :
– Donc tu as fait quoi, tout ce temps de silence ?
Charb :
– Je suis mort, mort à moi-même, à mes illusions.
Véro :
– Mais tu es en vie puisque tu communiques avec moi.
Charb :
– Justement je ne comprends pas. Je refuse cette “vie”, une vie après la mort, ça ne veut rien dire.
Véro :
– Tu préf…
Charb :
– Stop ! Tu vas pas commencer. Je t’ai dit : pas de théologie.
Véro :
– OK. Que veux-tu que j’écrive ?
Charb :
– Dis-leur qu’il me casse les couilles avec leur “Charlie Hebdo” et tout leur cinéma autour de “Charlie, c’est nous”.
Si “Charlie, c’est nous”, alors Charlie, c’est eux. Alors ils sont morts avec nous.
Le reste, c’est du cinéma, de la récupération.
Véro :
– C’est très dur ce que tu…
(Charb n’aime pas que j’écrive que “tu dis”, ce qui signifierait qu’il parle, alors qu’il ne parle pas. Il ne peut plus. Il n’est plus “physique”. Il n’est plus incarné.)
Charb :
– Tu sais très bien ce que je veux dire. Dis-le “leur-re” toi !
Véro :
– Pour me faire zigouiller à ta place ? Non merci.
Charb :
– C’est toi la Chrétienne, pas moi. Ce n’est pas Charlie Hebdo qu’est mort. Ecris- le ! C’est leur temps, le temps de leur civilisation. S’ils ne veulent pas mourir, les “Charlie, c’est nous !”, alors ils doivent tuer ceux qui tuent. Tuer avec des mots, et pour ne pas mourir eux aussi, tuer avec des armes, des vraies armes.
Nous, on ne voulait pas mourir !
Tu ne peux pas te faire zigouiller à ma place, j’suis déjà mort.
Et moi, ça me fait pas rire, mais pas rire du tout. Dis-le “leur-re” à cette bande de cons !
Véro:
– Pourtant, il paraît que tu disais souvent que tu préférais “mourir debout que vivre à genoux” ?
Charb :
– Ca me fait une belle jambe, aujourd’hui.
(Réponse reçue sur un ton cynique, avec l’image “jambe/genou”).
– La seule qui se bat aujourd’hui pour les libertés, c’est Jeannette. Un peu comme Jeanne d’Arc. Ca la ferait se marrer ! Jeanne d’Arc, cette égérie des Catholiques français. Pourtant, c’est elle qu’a raison. Elle vous prévient.
Véro :
– Elle en prend plein la gueule, ta “Jeanne-ette”.
Charb :
– J’ai pas à m’exprimer sur les questions d’ordre privé. C’est pas parce que je suis mort et que je ne suis plus là avec elle, qu’il faut raconter tout et n’importe quoi. Je vis, quand même. Je me manifeste.
Une brune qui compte pas pour des prunes, Jeannette, vue par CHARB (en majuscules, na !)
Véro :
– Pour elle ?
Charb :
– Non, pour tous ceux que j’aime. Elle… (je reçois à la fois, “aussi” et “en fait partie”, au choix).
Véro :
– Que voudrais-tu dire ?
Charb :
– D’abord je te remercie de me permettre de m’exprimer.
Véro :
– Oh là! Tu ne m’avais pas habituée à ce ton cérémonial. Méfie, méfie !
Charb semble rire, enfin.
Charb :
– Dis-leur d’aller se faire foutre avec leur “Charlie, c’est nous !”. Si Charlie, c’était eux, ils n’enterreraient pas les libertés publiques. Ces gens-là soutiennent les fossoyeurs de nos libertés. Ils paieront le prix de leur bêtise. Ca, ça m’a été dit “là-haut”, comme vous dites, “ici-bas”. P’êt’ que je suis revenu, ou venu, car je ne suis pas encore parti, je ne sais même pas où, ni ce que signifie “partir” là où je suis, là où je suis en tant qu’état d’être sans être, et là où je suis (me trouve) dans un espace (hésitation sur temps, car pas de “temps”, selon Charb) qui est sans moi, mon moi physique. Est-ce que j’existe encore ?
Véro :
– A ton avis ?
Charb :
– Ils m’ont dit que c’était ça la mort. J’avais le choix de refuser la “Vie”. Pour une fois j’accepte le “V” majuscule car selon eux, la vie est une minuscule dans un alphabet de signes majuscules.
Véro :
– Est-ce que tu acceptes la “Vie” enfin, Charb, avec le “V” majuscule ?
Charb :
– “V” comme Véronique ?
Véro :
– Te fous pas de moi…
Charb :
– Je vais me gêner, ça te ferait trop plaisir que j’accepte la “Vie”, hein ? A Jeannette aussi.
J’sais pas. J’vais encore réfléchir. J’vais me pauser. Tu sais, la fameuse touche “pause” dans un temps qui n’existe pas. Je suis sans être, je suis sans me trouver être moi-même. Il paraît que l’on peut mourir, mourir vraiment, si on refuse la “Vie”. C’est à dire qu’on a le choix de disparaître vraiment, de se dissoudre, comme une forme de “désatomisation” de l’être. Ca a failli arriver à BREL. Lui aussi, il ne voulait pas mourir, comme mourir de… sinon mourir, partir complètement. Tu comprends ?
Véro :
– Peut-être. C’est un choix. La liberté, c’est d’avoir toujours le choix.
Charb :
– Avec les cons, tu “crois/croix” (jeu de “maux/mots” volontaire et image illustrée, envoyés par Charb d’un Christ en croix) qu’on peut avoir le choix de vivre ?
Dis-leur l’Islam tue.
S’ils ne veulent pas comprendre, tant pis pour eux.
Véro :
– Et si moi, je vais en prison pour écrire ça ?
Charb :
– Qui dit le contraire ? Qui ose dire le contraire à Charb ?
L’Islam tue.
Et pas les cons.
Mais les cons aussi.
On a été trop cons.
Charb :
– Non, Véro, moi ça m’fait plus rire.
Fin de l’entretien.
Une des raisons de la colère de Charb, un service de sécurité défaillant :
http://www.potins.net/jesuischarlie-2/charlie-hebdo-le-second-policier-cense-proteger-charb-etait-parti-faire-une-course-118151.html
[ Charlie Hebdo : Le second policier censé protéger Charb était “parti faire une course”
26 fév
12:462015
Alors qu’un nouveau numéro de Charlie Hebdo vient d’être diffusé, la question concernant la protection rapprochée de Charb vient d’être lancée sur le tapis : où était passé le deuxième policier ? Sept semaines après l’assaut mortel du 7 janvier dernier qui a fait 11 morts, des zones d’ombre entourent encore le dispositif de sécurité autour de l’ancien directeur de la rédaction Stéphane Charbonnier. Un débat qui fait couler beaucoup d’encre depuis les révélations de RTL.
Charb était en ligne de mire et faisait l’objet de menaces de mort régulières depuis plusieurs mois, mais il semble que sa protection était défaillante et insuffisante le jour de l’attentat comme le rapporte RTL. Le jour du drame, le policier Franck Brinsolaro est tombé sous les balles des terroristes et au même moment son collègue absent était parti
Faire une course.
Des révélations qui révèlent une faille sur la protection policière de Stéphane Charbonnier. RTL évoque :
Une faille, voire une faute, sur laquelle doit désormais se prononcer la hiérarchie policière.
D’après ses sources, RTL affirme que :
De l’avis des experts, la protection de Charb était insuffisante. Deux policiers relèvent davantage de l’accompagnement que de la protection rapprochée. Pour un homme menacé par Al-Qaïda, c’est trop peu. Quelques mois avant, Charb était protégé par quatre fonctionnaires du Service de la protection des personnalités (SDLP). Mais le dispositif a été allégé alors qu’il aurait fallu 8 personnes pour pouvoir disposer des hommes en civils à son domicile et devant les locaux de Charlie. La rédaction de la rue Nicolas Appert aurait également due être davantage sécurisée avec l’installation d’une porte blindée et d’un sas vraiment sécurisé. Mais le coût des travaux était, semble-t-il, trop important.
Avec deux policiers, la sécurité ne pouvait pas être optimale. Au départ, quatre hommes étaient en charge de la protection de Charb mais faute de budget suffisant, l’effectif n’a pu être maintenu. Un sas de sécurité devant la rédaction devait également être installé mais a été repoussé ultérieurement.
Doit-on incomber cette défaillance à une tragique faute professionnelle ? Qu’en pensez-vous ? ]
Charb pense qu’il aurait mieux valu investir de leur vivant, pour qu’ils restent tous en vie, l’équipe de Charlie Hebdo, plutôt qu’investir des millions d’euros, après leur mort.
Une mort qui aurait pu, qui aurait dû être évitée, selon Charb !
D’où les millions d’euros d’aide accordés à Charlie Hebdo pour couvrir une faute de l’Etat socialiste ?
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“Je viendrais cracher sur vos tombes !”
Je reçois ça, de Charb qui me renvoit à Boris VIAN.
Donc je recherche et je trouve :
[ Autour du film “J’irai cracher sur vos tombes”
Boris Vian, qui désapprouvait totalement l’adaptation de son roman, est mort dans la salle au début de sa première projection.
Le matin du 23 juin 1959, il assiste à la première de J’irai cracher sur vos tombes au cinéma Le Marbeuf (Paris 8e). Il a déjà combattu les producteurs, sûrs de leur interprétation de son travail, et a publiquement dénoncé le film, annonçant qu’il souhaitait faire enlever son nom du générique. Quelques minutes après le début de la projection, il s’effondre dans son siège et, avant d’arriver à l’hôpital, meurt d’une crise cardiaque.
La longue genèse du film J’irai cracher sur vos tombes est évoquée dans le documentaire Le Cinéma de Boris Vian réalisé par Alexandre Hilaire et Yacine Badday (2011). ]
– Le lien avec toi, Charb ?
Charb :
– Ils comprendront.
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