Je suis sincèrement désolée de venir casser l’ambiance durant les fêtes de Noël tandis que les chaînes TV publiques nous submergent de films de Noël avec leurs bonshommes rouges à la barbe blanche.
Je ne sais pas pourquoi, j’ai tout à coup été prise d’une frénésie féminine subite, celle de partager avec vous ma fascination pour ce geste sublime qui ne peut qu’être viril :
– se raser le visage !
- Sauf à avoir un problème d’hirsutisme quand vous êtes une femme.
Dans une époque où les femmes se moquent des hommes, s’il reste des femmes, des vraies femmes qui aiment les hommes, j’en serais !
Je ne me verrais pas vivre sur cette terre uniquement entourée de « toutes pareilles » alors que je n’aime rien tant que ce qui excite ma curiosité féminine,
- les différences masculines.
– Car nous, les femmes, les vraies, nous sommes très curieuses, – n’est-ce pas ?, très curieuses de ce qui rend Adam si attirant, en particulier ce drôle d’appendice qui nous permet, à coup sûr, de mesurer l’effet que nous exerçons sur lui et de comprendre alors quel est notre rôle d’animatrices dans le duo originel inspirant nos couples habituels, Adam et Éve.
Donc, dèjà, petite fille, je regardais avec étonnement mon père se raser le visage et j’interrogeais ma mère :
– « Pourquoi les hommes doivent-ils se raser ? »
Ma mère me répondait sur un ton banal et un peu blasé, parfois même agacée par cette enfant qui posait toujours des questions sur tout et partout :
– « Les hommes ont de la barbe. Et ils doivent se la raser. »
Moi :
– « C’est quoi, la barbe ? »
Ma mère :
– « C’est du poil sur le visage. »
Moi, petite fille horrifiée, j’imaginais alors mon père avec la gueule d’un chien, pourquoi pas celle de mon cocker croisé épagneul nommé « Master » :
– « Du poil sur le visage ?!!! »
Ma mère soupirant :
– « Oui, du poil, de la barbe ! Tu ne peux pas comprendre. Tu es une fille. Toi, tu n’en auras jamais !
- Pas même de la moustache portugaise,
- puisque tu as hérité des gènes russes à la blondeur hollandaise, d’où ta pâleur de peau. »
– Absence de pilosité qui ravivait ma curiosité !
Aussi, j’allais voir mon père qui se rasait méthodiquement avec un rasoir, objet dangereux qu’il m’était interdit de toucher comme ses armes de chasse.
– Donc, c’était ça, être un homme ?
- C’était être capable de jouer avec un rasoir tranchant sans avoir peur de se couper le visage.
J’étais admirative d’un tel courage masculin.
Parfois, mon père se coupait et je l’entendais crier, moins à cause de la douleur qu’il ressentait qu’à cause de la cicatrice qu’il allait conserver pendant un certain temps.
Il sortait de la salle de bains avec un petit pansement qui recouvrait sa plaie et me prouvait à moi que mon père,
- c’était ce héros au sourire crispé !
Il faut savoir que si, moi, j’étais proprette à la sortie de la salle de bains, j’étais surtout douillette dans ma vie de tous les jours.
La vue d’une goutte de sang suffisait à me faire m’évanouir et je n’aurais jamais souhaité devenir une infirmière sauf quand je jouais au docteur.
Le moment le plus important dans la vie d’une femme, c’est quand son homme se rase devant elle.
Un homme qui ne t’appartient pas ne se rasera pas le visage devant toi :
- il n’osera pas !
Et, quand tu le vois devant toi, le rasoir à la main, s’appliquer à avoir une peau douce sur laquelle tu pourras déposer des bisous qui l’amadouent, tu sais que c’est comme s’il te disait :
– « Je t’aime ! »
Je l’imagine, debout, ses yeux plongés dans les yeux du miroir, et moi, à côté de lui, le regardant se raser, la mâchoire serrée, geste si viril, admirative et un peu craintive par peur qu’il ne se blesse.
Ensuite, il s‘asperge d’une lotion astringente qui resserre les pores de la peau, à coups de petites claques qui marquent encore sa différence masculine avec nous, les femmes.
– Nous, on se caresse !
On ne se frappe pas le visage, nous, les femmes, ou alors ce serait après avoir lu dans une revue féminine qu’il faut réactiver la circulation sanguine en se tapotant le visage.
– L’homme, lui, il se donne des claques.
Si c’était mon homme qui se rasait devant moi, je le regarderais comme si j’étais Éve s’éveillant aux côtés d’Adam, avec des yeux de petite fille émerveillée.
- Deux fois émerveillée !
Car je serais émerveillée par la force qu’il dégage quand il rase son visage, lui-même n’y prêtant plus guère attention.
Pourtant, je suis sûre que, s’il cherchait bien dans ses souvenirs d’adolescent, la première fois où il a dû se raser, il devait aussi en être extrêmement fier.
- C’était un rite d’initiation, le rite du passage du petit garçon à l’âge d’homme !
Et moi, la femme, je reste à la porte de ce mystère, celui du jour, où, naguère, un homme fort a décidé qu’il prendrait une lame de rasoir ou un couteau pour combattre la nature et imposer sa culture virile aux autres.
Si les peureux ont peur de se servir d’une lame pour rentrer dans le camp des hommes forts, qu’ils se laissent pousser cette vilaine barbe pleine de crasse qui cache leur visage, ramasse leurs postillons, leurs miettes de repas et brasse leurs crachats de tuberculeux.
Le mien, mon homme, je l’imagine si bien se tenir debout devant la glace de la salle de bains, puis, ayant terminé de se faire beau, se tournant vers moi pour me sourire, sûr de sa séduction virile,
– ses lèvres mâles mises en valeur par la nudité d’un visage d’homme qui ne peut pas être confondu avec celui d’une femme,
- bouche si belle d’un partenaire sexuel qui se sait conquérant surtout quand il s’aime lui-même
- qui se sait attirant parce qu’il se sent aimé !
Les publicitaires ont très bien compris la force érotique de ce geste viril quand ils vendent, dans leurs pubs fantasmatiques, un parfum excitant pour hommes en se servant de ce qui reste une arme identitaire :
– un rasoir !