• Son seul rival, lui !

Lui, fringant jeune homme, selon lui, le bel homme mature et sûr de lui.

Je n’ai pas connu le jeune homme et, moi, je ne suis pas sûre du tout qu’il m’aurait plu.

Je connais l’homme grand et le grand homme devenu une voix institutionnelle qui cherche sa voie exceptionnelle dans un avenir qui semble encore lui échapper.

– Faut-il s’écharper, Môssieur mon Amour, pour un compliment qui m’a échappé ?

• Oui, j’ai dérapé, sortie de route… sortie de moi, accaparée par le désir de… vous, à nul autre pareil, impossible à comparer, désemparée par vous, incomparable.

Pourtant, je le savais, qu’à nul autre, vous ne pouviez être comparé.

Mais j’avoue que la chemise ouverte érotise un col en V remarquable, image promise à un succès enviable pour des admiratrices non encore remises du choc de leur rencontre improbable avec vous.

Désabusé, vous m’avez à peine regardée : – comment avais-je pu oser vous comparer à lui ?

Récusée, je regagne ma place tandis que le doute me gagne:

– quel crime ai-je commis pour ainsi avoir démérité en public ?

Immédiatement, l’une de vos admiratrices la plus protectrice, l’inspectrice en chef dominatrice et correctrice des moeurs, se précipite, vite, vite, pour savoir :

– « Que vous a-t-elle dit ? »

Peut-être même :

– « Que t‘a-t-elle dit ? », me jetant un regard de harpie à transformer une statue de sel en stèle funéraire, de l’air d’une furie prête à m’enfermer dans une tour de pierre mortuaire où la mégère se projette déjà comme un cerbère aux portes de mon enfer.

Et, tout à coup, mon doudou tout tristounet redevient ce petit garçon malheureux qui se confie à sa mère consolatrice et adoratrice, future castratrice de ses envies refoulées : « Allo, maman, bobo ! Elle a pas été gentille avec moi, la dame, elle m’a comparé à un philosophe. »

• Oui, à la chemise blanche avantageusement ouverte sur un torse torride d’homme chevelu languide !

– OK, je ne recommencerais plus.

Pourtant, n’est-ce pas vous qui m’écriviez une fois : – « Mille pardons, j’étais aux abonnés absents par impossibilité de pouvoir vous répondre » ?

Pas tout à fait « ça » mais tout comme.

• Bien vouloir comprendre : « avec ma surveillante en chef attitrée et officielle ».

– Dois-je en conclure que vous avez une préférence pour les gardiennes de prison, les matonnes et les matrones tonitruantes, les chiennes de garde vociférantes, les commandantes condescendantes et les surintendantes outrecuidantes ?

Prise d‘une subite inquiétude, je me contemple dans la réflexion perplexe d’un miroir convexe sans complexe, lui :

• serais-je une sorcière pour lui plaire à ce point ?

Enfin, vous voyez quoi, la prétendue sorcière avec son nez crochu et son chapeau distordu de magicienne loquedu… l’envers de la femme sensuelle et belle, celle qui fait tout de travers et fout tout par terre.

S’il aime les femmes qui sont des harangères, poissonnières à langue de vipère, la femme-poisson que je suis va-t-elle devoir perdre la magie des profondeurs océaniques où elle noie ses chagrins poétiques pour enfourcher le balai des bacchantes infernales ?

• S’il préfère la femme-moustache, genre adjudant-chef, qu’y puis-je mais ?

Moi, je préfère le rire aux cris, la charité à l’autorité, l’amour à la guerre.

Je ne pensais pas blesser le petit garçon en deuil de sa jeunesse perdue ni l’homme au seuil de cette vieillesse suspendue qui lui fait si peur, lui qui a une longue vie de bonheur qui l’attend s’il savait seulement sortir de son passé.

• Si le bonheur ne tient qu’à un cheveu, alors laisse-moi te payer de quoi supprimer ce complexe débile.

Je ferais n’importe quoi pour que, plus jamais, tu ne te compares à celui que je ne connais pas et qui te manque tant : toi à un autre âge, un âge d’avant moi.

– Viens, chéri, aujourd’hui, tout est possible physiquement !

• Et si ce n’est qu’une question d’argent, rappelle-toi que, quand on aime, on ne compte pas !

– Arrête de couper tes cheveux en quatre quand une femme te complimente en revenant toujours sur ce complexe qui symbolise, pour toi, la perte de ta jeunesse et te ridiculise quand tu te stigmatises.

• Pourquoi voudrais-tu que l’on te mente, que je te mente et qu’elles te mentent, ces autres femmes si belles qui te convoitent ?

La beauté se cristallise, amplifiée dans l’homme chez qui le temps s’arrête : tu ne vieilliras pas.

Saturne veille sur toi et la patine des heures ennoblit ton visage magnifié par le divin sculpteur.

Mais s’il te manque de cet argent que de pauvres gens croient indispensable au bonheur dans toute vie humaine si vaine sur cette terre, sache que rien n’est impossible en amour.

Ainsi, quand je te complimenterais à nouveau, tu ne me renverras plus jamais vers le jeune homme que tu aimes, cet homme que je n’ai pas connu, alors que c’est toi que j’aime, tel que tu es aujourd’hui.

La preuve : si l’adjudante-chef, l’imprécatrice de service, a failli me tomber dessus, toutes griffes dehors, c’est bien la preuve, mon doudou d’amour, qu’elle aussi t’aime très beaucoup comme tu es.

D’ailleurs, n’oublie pas :

• aime les femmes qui t’aiment puisque ce sont les seuls miroirs qui reflètent ta vraie réalité,
• pas cette réalité que, toi, tu crois voir, obsédé par l’image de ce garçon qui n’est plus toi et qui te suit partout comme un fantôme, le « horla » d’une jeunesse enfuie.

• Quel est ton avenir, Môssieur mon Amour ?

Il est toi, ouvertement et librement toi, totalement toi, infiniment toi, toi sans limite !

• Si tu ne regardes pas vers le passé.