
– “Si tu pars, quand tu pars, prends-moi !
Sur le bord du chemin, sur le bord de ta route, sur la route de ton destin, prends-moi !
– Pour un nouveau départ, ne t’égare pas !
Ne te trompe pas de chemin, non plus.
Je serais là, sur le bord de l’avenue, au coin de ce carrefour où tu choisiras ta destination qui ne doit plus aboutir à une déroute.
– Oui, je serais là !
Et je regarderais passer les voitures pendant que je t’attendrais, patiemment, imprudemment,
… toi qui ne sais même pas que tu rouleras dans ma direction.
Je ne lèverais le pouce et je n’agiterais le bras que lorsque je te verrais au loin, mais pas trop loin, assis dans ta voiture, déjà parti, ayant quitté ta vie pour venir vers moi,
– toi qui ne sais pas encore que je serais là à t’attendre pour te faire revenir à la vraie vie.
Je me rappellerais cette fois où je sortais d’une agence et que, toi, tu marchais dans cette avenue, l’avenue de la gare.
Toi qui m’as fait signe, sinon je ne t’aurais même pas vu, ne t’ayant pas reconnu de loin, agitant ta main comme pour me dire :
– “Oui, c’est bien moi !”

C’était un geste d’espérance, une renaissance terrestre après un très long silence, la lourde souffrance d’une sourde attirance qui résiste à tous les traitements de l’indifférence.
Toi, tu t’étais arrêté à quelques pas de moi, toi, l’homme que j’espère tant de fois mais que je repère souvent trop tard, toi, cet aimant vers qui je ne sais pas aller quand il m’appelle et que tout son être charnel m’attire.
– Le hasard… sans aucun doute, n’est-ce pas ?
j’ai appris à ne pas venir vers un homme s’il ne vient pas à moi, question d’éducation,
– une éducation rigide qui bride mes élans instinctifs et les sentiments démonstratifs.

Et si cet homme vient vers moi, parce qu’il m‘aimerait et que je l’aimerais, alors je m’enfuis, telle une ombre, pareillement que la nuit qui tombe,
– cette nuit après qui court le jour et qu’il ne peut jamais attraper,
– l’aube les séparant définitivement et le crépuscule les préparant incessamment à se chercher sans pouvoir se retrouver.
– Pourquoi ?
Peut-être parce que ses lèvres auront le goût du bonheur et qu’elles me donneront une fièvre,
– la fièvre de l’amour qu’on appelle “passion”.
Revenue sur le bord d‘un trottoir où l‘espoir s‘est perdu, mes torts reconnus, je suis à nouveau sur cette route ouverte à toutes les rencontres.
Je laisserais passer toutes les autres voitures, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, sans lever le pouce ni mon petit doigt.
Et lorsqu’un véhicule s’arrêtera avec, à son bord, un conducteur s’inquiétant de me voir seule ou désirant un corps qui se donne ou qui se vend,
– je le renverrais car je ne veux que toi, mon amour !

Mais ça, je ne te le dirais pas.
Car, au contraire de toi, je peux écrire ce que, jamais, je ne te murmurerais tandis que, toi, tu ne sais écrire que sous couvert d’un académisme zélateur et dénégateur.
Je te verrais arriver, t’ayant guetté impatiemment.
Tu seras au volant de ta voiture, cette voiture qui reste dans ma mémoire, noire,
– comme était noir ton regard quand je t’avais croisé, assise au volant de la mienne,
– m’étant promise de ne plus jamais remettre les pieds là où tu paraîtrais,
– à cause d’un mot, un seul mot qui confirmait ce que je craignais : – “sexy“.
Ce jour-là, je suis revenue vers toi, pour toi, malgré moi, parce que je ne supportais pas l’idée que tu sois malheureux à cause de moi.
– C’était stupide !
Elles sont toutes à tes pieds.
Je commettrais sans doute la même erreur, préférant mon malheur pour ton bonheur.
– Car je préfère mille fois te savoir heureux sans moi que malheureux avec moi !
Alors, si tu pouvais être heureux avec d’autres, je pourrais partir, tranquille :
– ce serait tellement plus facile pour me détacher de toi, sans te fâcher !

Mais je reviens là où tu ne m’as jamais encore croisée.
Donc je me retrouve dans cette rue où le hasard me conduit, te conduit, sur ce trottoir, sans te voir, au bout de cette route, moi qui doute de tout, à t’attendre.
Et quand ta voiture noire s’inscrit sur le ruban d’un futur fragile, je lève la main, comme toi, tu l’avais levée, pour te faire signe de t’arrêter.
– Me verras-tu, moi qui ne te vois jamais ?
Je l’ignore.
Mais, si tu t’arrêtes, tu arrêteras le cours de nos deux vies.
Je monterais dans ta voiture et j’irais là où tu iras :
– pour une journée, le temps d’un déplacement hors du temps, qui n’existera pas dans nos deux vies quand nous reviendrons de cet ailleurs où tu m’auras enlevée.

Je pourrais juste dire :
– “Je faisais du “stop” et il s’est arrêté.
Et quand il s’est arrêté, le temps s’est arrêté.
Et quand le temps s’est arrêté, il n’y avait plus que lui et moi.”
– Faut-il toujours une raison à la déraison ?
L’amour n’a qu’une saison, une saison qui ne finit jamais, sauf à se tromper dans sa destination finale.
Mais si l’amour ressemble à une prison, alors cette saison est une réclusion passionnelle à perpétuité.

Et si l’amour ressemble au paradis, alors je suis à la porte de ce Paradis et je tends la pomme à Adam,
– cette si jolie pomme qui lui est restée en travers de sa gorge virile !
En lui disant : – “Prends-moi… en stop !”
Quand, à nouveau, tu devras partir loin d’ici, un jour, une semaine, pour un temps, un autre temps.”
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D’où vient l’expression « rester en travers de la gorge » ?
[ « Rester en travers de la gorge » est une expression anodine qui cache un sens terrifiant… Elle remonte au Moyen-Âge. A cette époque, lorsque quelqu’un est suspecté de blasphème ou de péché, on le soumet à « l’ordalie », c’est-à-dire au jugement de Dieu par les éléments naturels. L’accusé doit tantôt marcher sur des braises, tantôt être plongé dans l’eau glacée… S’il survit, c’est que Dieu le juge innocent. Sinon… Les juges médiévaux pratiquent bien des variantes de l’ordalie.
Une preuve de culpabilité ?
L’une d’elles consiste à gaver l’accusé de fromage et de pain. Si un morceau lui « reste en travers de la gorge » et qu’il s’étouffe, la preuve est faite qu’il a fauté. A partir du XIe siècle, cependant, l’Eglise renonce peu à peu aux ordalies. Saint Louis les interdit en 1258. L’expression prend alors un sens plus humain : quand quelque chose vous reste en travers de la gorge, ce n’est pas le signe que vous êtes coupable, mais plutôt que vous avez subi une injustice. ]
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La date de publication de l’article n’est pas un hasard :
– tout se fête !
